Témoignage reconversion kiné : l’interview de Meredith Castin

J’ai découvert il y a quelques mois Meredith Castin, une kinésithérapeute aux États-Unis qui a décidé d’arrêter la profession de kiné pour se reconvertir dans un autre métier.

Elle a su ré-utiliser ses compétences de kinésithérapeute et continuer à travailler dans le secteur de la santé qui lui plaisait, mais d’une façon qui lui convenait plus.

Elle est maintenant à la tête d’un organisme de reconversion professionnelle pour les kinés (et quelques autres rééducateurs comme les ergothérapeutes ou les orthophonistes).

Je trouve qu’elle a un regard très pertinent et beaucoup de recul sur notre profession de kinésithérapeute. Son expérience de reconversion est vraiment enrichissante, et adaptable sur certains points au contexte français et francophone.

J’espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à découvrir le témoignage de Meredith dans cette interview ! J’y glisse aussi quelques touches personnelles puisque quelques mois après avoir écrit cet article, j’ai mois aussi arrêté d’exercer comme kiné.

J’ai écrit un autre article plus pertinent si vous cherchez plutôt des infos sur la reconversion d’un autre métier vers celui de kinésithérapeute.

♻️ Dernière mise à jour : août 2023.
👩‍⚖️ Déclaration de liens d’intérêts financiers : aucun en lien directe avec le sujet. Ma déclaration de liens d’intérêt complète est en mentions légales. Meredith gère la formation renconversion professionnelle dont elle parle dans cette interview.

Pourquoi as-tu choisi d’être kinésithérapeute / physiothérapeute ?

J’ai choisi de devenir physiothérapeute parce que je me suis blessée dans la vingtaine, au moment où j’essayais de savoir ce que je voulais faire de ma vie. Je travaillais comme graphiste et conceptrice de sites web depuis l’université, mais j’étais prête pour un changement.

Un jour, je me suis blessée au dos et je n’étais pas préparée au fait que cette blessure ne disparaîtrait pas comme toutes celles que j’avais eues jusqu’alors. Mon médecin m’a demandé de suivre une thérapie physique et je suis tombée amoureuse du fait que le mouvement pouvait être un remède à ma douleur physique !

J’ai immédiatement commencé à faire des plans pour faire de la kinésithérapie ma nouvelle carrière !

Pourquoi as-tu décidé d’arrêter d’exercer en tant que kinésithérapeute ?

J’ai découvert qu’il était beaucoup plus agréable d’être un patient que d’être un prestataire. J’ai apprécié les conseils personnalisés, la récupération active et l’ambiance optimiste de la clinique sportive où j’ai reçu mes soins.

Ce que je n’avais pas réalisé à l’époque, c’est que ce type de rôle s’accompagne d’un taux élevé d’épuisement professionnel pour les cliniciens. Je n’avais pas non plus réalisé que de nombreux postes de physiothérapeute sont très éprouvants sur le plan physique et émotionnel.

Et la rémunération est assez faible, compte tenu du coût des études.

Note de Nelly : en France, je ne suis pas certaine que ce dernier point soit valable. En tout cas, pas pour les étudiant(e)s kinés qui ont faire leur étude en france dans une école de kiné publique.

Souvent, après le travail, je souffrais physiquement et mentalement.

De plus, il n’y avait pas beaucoup d’évolution possible dans ma carrière.

Je me suis rendu compte que je redoutais d’aller travailler la plupart du temps, et je ne pouvais pas imaginer une carrière consistant à faire la même chose jusqu’à ce que j’atteigne la soixantaine.

Note de Nelly : quelques mois après avoir interrogé Mérédith, j’ai moi aussi décidé d’arrer d’exercer la kinésithérapie « clinique ». Je suis dorénavant éditrice et rédactrice pour mon média en ligne, Fonto Media, sur lequel vous êtes actuellement. Je vis donc principalement de mes connaissances et compétences de kiné et rédactrice, grâce à l’affichage de publicité et la vente d’ebooks principalement. Et de la prestation de service (conseils et rédaction wikipédia en freelance).

Mes 3 motivations principales à arrêter la kiné « classique » :

1. tester autre chose en m’y dédiant à temps plein ;
2. avoirplus de flexibilité : je peux travailler depuis où je veux quand je le souhaite (pratique avec des enfants encore petits) ;
3. solliciter plus mes compétences pour lesquelles je me sens la plus utile et pertinente : la recherche d’informations fiables et leur diffusion via l’écrit.

Penses-tu que ces problèmes que tu as rencontré sont internationaux ou spécifiques aux États-Unis ?

Honnêtement, je pense que la plupart des problèmes sont plus graves aux États-Unis.

Le faible niveau de rémunération est lié aux taux de remboursement, qui ne cessent de diminuer aux États-Unis. Les exigences émotionnelles et physiques sont probablement un problème dans n’importe quel pays.

Je pense également que, dans mon cas, l’ennui a joué un rôle.

De plus, le fait d’être toute la journée en contact avec les patients était difficile pour moi. J’avais besoin d’une carrière avec plus de temps de repos, et ce n’est tout simplement pas le cas de la kinésithérapie.

Je sais qu’aux États-Unis, la productivité joue un rôle important dans le sentiment d’être submergé par le travail.

Dans d’autres pays, les physiothérapeutes ne seraient peut-être pas aussi épuisés si on leur laissait plus de temps entre les patients pour décompresser, se documenter et discuter des cas difficiles avec d’autres cliniciens.

Meredith Castin

Note de Nelly : à ma connaissance, et d’après mes recherches, il n’existe pas d’études qui comparent le niveau de stress et de satisfaction professionnelle entre les kinés de différents pays.

Qu’as-tu choisi de faire en premier dans ta reconversion ?

Mon premier pas au-delà des soins aux patients a été un rôle d »intérimaire en tant qu’agent de liaison en réadaptation. Il s’agit en quelque sorte d’un mélange de :

• marketing,
• de vente,
• et de gestion de cas,

et votre travail consiste à sélectionner, acquérir et admettre des patients dans un centre de rééducation.

Note de Nelly : Meredith a ensuite été rédactrice web santé (comme moi donc 🙂 ; c’est en partie comme ça que je l’ai découverte !) pour des entreprises proposant des services aux kinés et autres professionnels de santé ! Avant de lancer sa propre entreprise vendant de la formation et de l’accompagnement pour la reconversion des kinés.

Comment tes compétences en kinésithérapie t’ont aidé dans ta reconversion ?

Les compétences que j’ai acquises en tant que physiothérapeute étaient directement transférables à ce poste d’agent de liaison.

Il nécessitait même une licence de physiothérapeute !

Y a-t-il beaucoup de personnes comme toi qui souhaitent quitter la clinique ? Dans quelle proportion d’après les enquêtes et ton expérience ?

Il y a tellement de gens qui veulent partir.

Un article récent de WebPT a révélé que le Bureau américain du travail et des statistiques a déclaré que près de 10 % de la main-d’œuvre américaine en kinésithérapie quitterait les soins cliniques en 2021. C’est impressioniant, d’autant plus qu’un rapport WebPT de 2022 sur l’état de la thérapie de réadaptation a révélé que le taux de rotation moyen en 2021 était de 9 %. Les chiffres semblent donc cohérents.

Note de Nelly : WebPT est une grande entreprise qui commercialise des logiciels de gestion et de télétransmission pour les cabinets de kinés et centres de rééducation aux États-Unis. Sans comparer ces chiffres à ceux d’autres professions et secteurs, je serais plus mesurée sur le fait que c’est impressionnant.

De manière anecdotique, mon organisme de reconversion n’a jamais été aussi occupé que ces dernières années. Cela est dû en partie :

• au COVID,
• mais aussi à l’absence de possibilité d’évolution professionnelle,
• au peu de temps de repos au travail (lié aux exigences de productivité élevées),
• au faible ratio dette/revenu,
• et à la baisse des taux de remboursement.

Note de Nelly : il s’agit bien sûr du point de vue et de l’expérience professionnelle de Meredith, au contact de plusieurs centaines de physios états-unien(ne)s qui se renconvertissent chaque année. Ce point de vue mériterait sans doute d’être mis en lien avec des études et rapports plus empiriques sur le sujet. Sûrement l’objet d’un futur article ici !

Quelles sont les choses que tu as apprises en développant ce projet d’aide à la reconversion professionnelle des kinés ?

J’ai appris qu’en affaires, il faut aller à la rencontre des gens là où ils se trouvent.

Certaines personnes s’accommodent très bien d’un contenu et de ressources gratuits.

D’autres ont besoin d’une orientation plus structurée et s’inscrivent donc à notre cours Non-Clinical 101, qui est un guide étape par étape pour faire la transition hors des soins aux patients.

D’autres encore souhaitent une expérience de coaching et s’inscrivent à notre équipe d’accompagnement professionnel après avoir suivi le cours Non clinique 101, ce qui leur permet de bénéficier d’un retour d’information individualisé et d’un mentorat pendant qu’ils font le pas hors des soins directs aux patients.

J’ai également appris que la gestion d’une entreprise n’est pas pour les âmes sensibles. C’est beaucoup de travail et il est difficile de prendre du temps avant de pouvoir embaucher. Et pour pouvoir embaucher, il faut des revenus réguliers.

Je voulais d’abord mener à bien ma mission, puis être rémunérée pour ça, et il m’a donc fallu un certain temps avant de me sentir à l’aise pour embaucher quelqu’un pour m’aider.

Meredith

Une autre chose que j’ai apprise, c’est que des concurrents apparaîtront, et qu’ils reproduiront votre contenu et voleront vos idées sans vous en attribuer la paternité/maternité.

En tant que kiné, j’avais l’habitude de collaborer et d’apporter mon soutien dans le cadre clinique, et je suis une personne naturellement confiante. Cela m’a ouvert les yeux de découvrir que le monde des affaires peut être un peu plus impitoyable.

Cela dit, je me suis fait des amis incroyables en ligne, et la grande majorité des personnes que je rencontre en ligne sont dignes de confiance, talentueuses, éthiques et perspicaces !

Note de Nelly : j’ai un peu le même ressenti que Meredith en collaborant avec des entreprises privées du secteur de la santé ou de la communication. Le fait d’essayer d’être le plus honnête et transparent possible porte cependant ses fruits sur le long terme, y compris dans ce secteur !

On te reproche parfois de « détourner les kinés et soignant(e)s des soins » ?

Oui, je suis régulièrement critiquée pour cela !

Avant, je me sentais très coupable d’éloigner des cliniciens passionnés du terrain et de leur montrer qu’ils avaient d’autres options.

Mais aujourd’hui, je ne pense pas qu’il soit juste que j’endosse la responsabilité d’un secteur défaillant.

Je prends des gens qui sont épuisés, malheureux, maltraités et en difficulté financière, et je leur montre qu’ils ont la possibilité de grandir et d’évoluer, sans pour autant abandonner leur identité clinique.

Meredith

Dans de nombreux cas, les physiothérapeutes ont quitté les soins cliniques pour occuper des postes qui améliorent le système de santé. Ainsi, au lieu d’aider les patients, ils aident les soignants qui aident les patients. Ils sont toujours dans un rôle d’aide !

As-tu 3 conseils pour un(e) kinésithérapeute français qui cherche d’autres voies que la prise en charge de patient(e)s ?

1. Découvrez ce qui existe et déterminez le type de travail qui vous conviendrait le mieux en fonction de vos passions et de vos capacités innées. Vous avez déjà beaucoup de compétences transférables grâce à votre temps passé en clinique.
2. Prenez l’initiative de suivre des cours, de faire du bénévolat et d’effectuer un apprentissage afin d’acquérir toutes les compétences supplémentaires nécessaires aux fonctions qui vous intéressent.

3. Rédigez une bonne histoire personnelle sur les raisons qui vous poussent à poursuivre ce travail. Intégrez-la dans votre dossier de candidature (CV et lettre de motivation), dans votre présence professionnelle/en ligne et dans votre préparation à l’entretien.

N’oubliez pas que ce qui est important, c’est ce vers quoi vous courez, et non ce que vous fuyez.

Note de Nelly : je partage particulièrement le point 3 de Meredith. J’ai l’impression que d’essayer de faire à chaque fois le lien avec mon expérience actuelle de kiné au contact des patient(e)s m’a ouvert beaucoup d’opportunités professionnelles. Mais il faut arriver à bien faire le lien !

Penses-tu que ta formation de reconversion professionnelle est adaptée aux kinés Français(e)s ?

Si vous parlez anglais, vous pourrez bienprofiter de mon cours Non-Clinical101 ! Je dirais que les processus de candidature et les opportunités de réseautage seront probablement différents en France, de sorte que certains des enseignements seront différents en France (quand il s’agit de détails).

Je suis sûre que les CV sont un peu différents, et peut-être que certaines carrières non cliniques porteraient d’autres noms dans d’autres pays.

Mais les fondements d’une transition de carrière resteront les mêmes, quel que soit le pays où vous vivez 🙂

Note de Nelly : j’ai lu beaucoup de contenus gratuits de Meredith. Ils sont d’une grande qualité, mais il faut tout de même faire beaucoup d’efforts pour appliquer cela au fonctionnement francophone.

***

Merci encore à Meredith d’avoir pris le temps de répondre à ces questions !

Je trouve vraiment son retour d’expérience éclairant, et il fait écho à beaucoup de choses que je vis au quotidien en étant professionnellement moitié-kiné moitié-autre chose.

J’espère qu’il vous parlera et vous sera utile à vous aussi ! Si vous avez des remarques, des questions, vous pouvez les laisser en commentaire 🙂.